Robert Boulin assassiné le 29 octobre 1979: Crime d'état

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Robert Boulin assassiné le 29 octobre 1979: Crime d'état
“Robert Boulin en savait long sur les circuits financiers opaques de notre République”


La démonstration est implacable, la conclusion sans appel : pour Pierre Aknine, réalisateur du téléfilm-choc Crime d'Etat, (diffusé sur France 3 ce mardi 29 janvier 2013) Robert Boulin, ministre du Travail et de la Participation sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing a été assassiné pour des raisons politiques. Balayée, la thèse du suicide : le résistant et gaulliste de la première heure, dont le corps a été retrouvé dans un étang de la forêt de Rambouillet le 30 octobre 1979 a été éliminé parce qu'il en savait trop sur les dossiers sulfureux de la Ve République...
Quelle réalité derrière cette fiction passionnante aux allures de film noir ? Pour nous éclairer, Benoît Collombat, journaliste à France Inter et auteur d'Un homme à abattre : contre-enquête sur la mort de Robert Boulin, a accepté de décrypter deux scènes-clé du film, en retissant les liens entre la fiction et la réalité plus que troublante exhumée au fil de ses recherches au long cours.

« Avant sa mort, Robert Boulin avait bien conscience que son propre camp politique, le RPR, tentait de le déstabiliser politiquement en instrumentalisant dans la presse une affaire “bidon” de terrain à Ramatuelle. L’ancien résistant gaulliste savait aussi qu’il avait en face de lui des adversaires dangereux, prêts à utiliser des hommes de main du SAC, le service d’ordre du parti gaulliste, alors en pleine dérive sanglante. Robert Boulin était menacé physiquement.
Pour répliquer, il disposait de dossiers susceptibles de faire taire ses adversaires. Ce recordman du nombre d’années passées dans les ministères de la République (quinze ans) en savait long sur les circuits financiers opaques de notre République.
Secrétaire d’Etat au budget lors de la création en 1965 de l’ERAP (Entreprise de recherches et d’activités pétrolières) puis d’Elf, ministre délégué à l’Economie et aux Finances de 1977 à 1978, Robert Boulin avait connaissance du montant des commissions (légales) dont il autorisait les versements lors de la passation de contrats liés aux affaires pétrolières et africaines. Mais il connaissait aussi l’envers du décor, l’“argent noir” de la Françafrique et les turpitudes de sa propre famille politique : Elf, le Gabon et les réseaux Foccart au service du RPR de Jacques Chirac, à la fin des années 1970. Des mallettes de billets transitent entre Paris et Libreville. Les fonctionnaires des douanes qui connaissent l’intégrité de Boulin font remonter les informations dont ils disposent.
Au cœur du dispositif se trouve une tirelire : la FIBA, la banque d’Elf et du régime gabonais. Or, le conseiller pour la presse de Robert Boulin, Patrice Blank (qui a joué un rôle extrêmement trouble la nuit de la disparition en se rendant au domicile du ministre) était justement membre du conseil d’administration de la FIBA. Autrement dit, un relais important des intérêts qu’entendait dénoncer Boulin se trouvait dans son entourage très proche.
Le corps de Robert Boulin a été retrouvé à proximité de la maison du “monsieur Afrique” de Giscard, René Journiac, comme si Boulin avait voulu “négocier” avec cet ancien bras droit de Jacques Foccart. René Journiac trouvera la mort quelques mois plus tard, le 2 février 1980, dans un accident d’avion suspect au Cameroun. L’avion utilisé par Journiac avait été prêté par Omar Bongo…
Aujourd’hui, des témoins sortent de leur silence et confirment la conclusion de mes investigations.
Par exemple, l’ancien assistant parlementaire du suppléant de Boulin, à l’époque, explique qu’avant que les archives de Boulin ne soient toutes détruites par le SAC, il a pu lire une partie de ces documents : Boulin parlait de répliquer en évoquant Elf-Gabon. La fille d’Alexandre Sanguinetti (co-fondateur du SAC) raconte que son père lui a tout de suite dit qu’il s’agissait d’un assassinat et que Boulin voulait contre-attaquer en menaçant d’évoquer le financement occulte des partis. L’ancien “monsieur Afrique” du RPR, Jean-François Probst, estime, lui aussi, que Boulin a été assassiné et fait le lien avec le Gabon.
Avant sa mort en 2005, un homme du sérail m’avait éclairé sur le sujet. L’ancien proche de Foccart et du mercenaire Bob Dénard, Maurice Robert, (ex-responsable du service Afrique des services secrets, espion chez Elf puis ambassadeur de France au Gabon), a clairement parlé devant moi de “crime” en parlant de l’affaire Boulin. Il était bien placé pour le savoir. »

« Dès la découverte du corps, de nombreux témoins expliquent que Boulin avait plus une tête de boxeur qu’une tête de noyé. Le visage est traumatisé, avec du sang sous le nez (or un noyé ne saigne pas du nez), le bras droit est recroquevillé avec une entaille au poignet visible sur certains clichés de l’identité judiciaire.
Les gendarmes sont les premiers à se rendre sur place, à l’étang Rompu. Le colonel de gendarmerie Jean Pépin pense immédiatement qu’il est impossible que Robert Boulin ait pu arriver seul dans cet étang. Un élément médico-légal va d’ailleurs le prouver : le corps du ministre a été retrouvé “dans la position du musulman qui prie”, la tête face au sol de l’étang. Logiquement, les lividités cadavériques, c'est-à-dire les marbrures qui se fixent sur les parties basses du corps après la mort, auraient dû se trouver sur le ventre et les jambes de Boulin. Or, elles se dont fixées sur le dos ! Cela signifie, de manière certaine, que le corps de Boulin a bien été transporté dans l’étang, après sa mort.
Un “bristol d’adieu” grandiloquent avec deux encres différentes est retrouvé dans la voiture du ministre, mais il est truffé d’incohérences, comme les lettres posthumes attribuées à Boulin. Il y a des mégots de cigarette, alors que Boulin ne fumait que des cigares. Les gendarmes n’ont pas le temps d’en savoir plus. L’affaire leur est immédiatement retirée au profit des policiers du SRPJ de Versailles par un personnage trouble : le Procureur général de la Cour d’appel de Versailles, Louis-Bruno Chalret.
Cet homme était, à l’époque une “barbouze judiciaire” au service des réseaux Foccart et du SAC. Il avait déjà fait libérer des truands sur ordre, comme le prouve des écoutes téléphoniques.
Au cours de mes investigations, j’ai établi que ce Procureur très spécial a été prévenu de la découverte du corps de Robert Boulin plus de six heures avant la découverte officielle, à 8 heures 40 du matin. Certains services de l’Etat ont également été prévenus dans la nuit. Le Procureur Chalret s’est immédiatement rendu sur place avec une équipe d’hommes “sûrs”, sans doute pour “arranger” la version officielle du suicide.
L’autopsie du corps est sabotée : il n’y a pas d’examen du crâne, sur ordre du Procureur. Officiellement, pour ne pas “charcuter” le corps à la demande de la famille Boulin qui n’avait pourtant rien demandée. Le corps est ensuite embaumé illégalement. Quant aux prélèvements d’organes du ministre, qui auraient pu faire l’objet de contre-expertises, ils sont tous détruits dans des conditions rocambolesques dans les années 1980.
En 1983, une deuxième autopsie démontre pourtant l’existence de fractures importantes (“traumatisme appuyé du massif facial”) du vivant de Robert Boulin. L’assistant de ces légistes m’explique qu’il avait alors constaté un hématome derrière le crâne du ministre, consécutif à un objet contondant, et une coupure au poignet droit correspondant, selon lui, à un lien.
Ce témoin, comme beaucoup d’autres, attend toujours d’être entendu par un juge d’instruction, indépendant du pouvoir politique. Mais il faudrait pour cela que la justice accepte, enfin, de rouvrir le dossier Boulin. Il est encore temps, puisque l’affaire ne sera prescrite qu’en 2017. »
(1) Publié chez Fayard en 2007


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